Qualité de vie et cancer du sein
Docteur Fabienne Liebens,
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L'essentiel n'est pas de vivre mais de bien vivre. |
Introduction |
Parmi les objectifs du traitement du cancer du sein, l’amélioration durable de la qualité de vie des femmes qui en sont atteintes est devenu un enjeu prioritaire 1. Pour réaliser cet objectif il faut pouvoir dans un contexte pluridisciplinaire, disposer des moyens humains et techniques les plus performants pour guérir la maladie et/ou en diminuer les conséquences. Le concept de qualité de vie en médecine suscite un intérêt récent. Il existe un certain nombre de facteurs qui ont influencé voire même créé cet intérêt. Tout d’abord le contexte social est primordial car la société évolue et place de plus en plus l’individu, la personne humaine au centre de son discours à travers les médias, Internet, les loisirs, la politique et les sciences humaines. Ensuite si la médecine n’échappe pas à cette évolution sociologique, les professionnels de la santé sont aussi par leur pratique confrontés au quotidien aux complications des traitements qu’elles soient physiques, psychologiques et sociales. Face aux détresses des individus, les équipes médicales peuvent être amenées à s’interroger par exemple, sur le bien fondé de certaines thérapeutiques agressives non curatives. Enfin l’évolution de l’éthique des droits des malades vers plus d’autonomie, de prise de responsabilités et de liberté de choix met l’accent sur l’importance de l’aspect qualitatif de la survie. De plus en plus, au nom des valeurs d’Autonomie, le malade revendique une place de partenaire informé, actif, dans le processus de décision. Il attend donc que ce qui relève de sa subjectivité, sa singularité, soit reconnu et accepté. En Belgique la récente loi sur les droits du patient (2002) illustre les tentatives du législateur de rendre compte de cette évolution éthique. Depuis les recommandations de la Société américaine d'oncologie clinique (Asco), qui considéraient en 1996 les mesures de la survie et de la qualité de vie prioritaires par rapport à l'évaluation de la réponse tumorale, un nombre croissant d’études ont été publiées qui nous montrent les avancées réalisées, mais aussi les problèmes non résolus tant sur le plan méthodologique que dans les applications cliniques 2. |
Définir la qualité de vie |
La " vie " fait référence à tout un contexte, intra- et interpersonnel, à une situation psychique et physique. Evaluer sa qualité, c'est donc évaluer les capacités, physiques et psychologiques du sujet pris dans ses interactions avec le monde qui l'entoure (famille, travail, relation à soi). La qualité de vie d’un individu est donc un concept complexe, multidimensionnel et subjectif dont l’évaluation est exprimée de façon optimale par l’individu lui-même. La sociologue Anne Fagot-Largeault nous dit : ..« La qualité de vie, sous l’angle individuel, c’est ce qu’on souhaite au nouvel an : non pas la simple survie, mais ce qui fait la vie : bonne santé, amour, succès, confort, jouissances bref, le bonheur… ». Dans cette définition la sociologue pointe déjà la bonne santé comme le premier facteur qui fait la vie. En médecine, définir la qualité de vie est encore plus compliqué. L’OMS ne définit elle pas la santé comme un état de bien être physique, social et psychologique mais quelle vaste définition ! La qualité de vie liée à la santé doit prendre en considération un ensemble de variables relevant de domaines très larges et évalués selon des modes d’investigation différents. Un bon nombre d’études concernant la qualité de vie en oncologie ont tenté de transformer ces domaines qualitatifs en variables quantitatives et donc mesurables. Pour le cancer du sein dans le domaine du fonctionnement physiques on évaluera entre autres: la douleur, la mobilisation du bras, le lymphoedème, les nausées, la perte des cheveux, la sécheresse vaginale, les bouffées de chaleur, la libido ; dans le domaine émotionnel on quantifiera la dépression, l’anxiété, et l’adaptation au fait d’avoir un cancer ; dans le domaine social on tiendra compte de la capacité d’entretenir des relations avec la famille et les amis, d’exercer un emploi et de réaliser tâches ménagères et loisirs. Tous ces domaines peuvent être évalués de façon globale (ensemble de variables) ou spécifique (variable isolée). L’approche quantitative d’un concept qualitatif n’est pas toujours bien admise et comprise, confusion entretenue par les tenants, fréquents en médecine, du dogme d’une frontière infranchissable entre le monde des « qualités et celui des « quantités ». La qualité de vie reste donc un concept encore mal compris et mal utilisé, alors que sa prise en compte dans les décisions médicales et en santé publique offre aujourd’hui des solutions originales et pertinentes en intégrant les notions de bien-être aux mesures objectives habituelles. |
Importance de la qualité de vie liée à la santé |
Pendant longtemps en oncologie, l’efficacité d’un traitement a été appréciée en termes de taux de réponse et de prolongation de survie. Si ces variables mesurées restent importantes, elles ne sont plus suffisantes pour évaluer l’effet d’une thérapeutique. Nous savons que la plupart des traitements du cancer en général et du cancer du sein en particulier, sont pour le moins agressifs et responsables de conséquences physiques, psychologiques et sociales. Prolonger la survie ne se fait plus à n’importe quel prix. Les bénéfices liés à l’augmentation des chances de survie (parfois incertaines) des malades ne peuvent raisonnablement s’envisager sans tenir compte de la qualité de cette (sur)vie. Une première raison pour s’intéresser à la qualité de vie est qu’aujourd’hui, son appréciation permet de quantifier les états de santé, de moduler les notions classiques de survie et ainsi d’éclairer la décision médicale. Une seconde raison pour s’intéresser à l’évaluation quantitative de la qualité de vie en médecine est que son appréciation subjective par les médecins n’est pas optimale. Quand on compare les données de qualité de vie objectivées par un questionnaire validé (EORTC QLQ 30) à celles obtenues à partir des dossiers médicaux dans une population de patients atteints de cancer, la concordance n’est pas optimale dans tous les domaines. Les patients font état de plus de problèmes de qualité de vie via le questionnaire que ce qui est repris dans le dossier médical et particulièrement dans le domaine des symptômes, de la détresse émotionnelle et des performances physiques 3. Il est possible que les médecins ne rendent pas compte dans les dossiers de leur évaluation subjective de la qualité de vie de leurs patients mais des travaux récents nous démontrent que des oncologues de spécialités différentes (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie) ont des difficultés pour initier la communication à ce sujet au cours de la consultation, laissant l’initiation de la discussion des domaines émotionnels et sociaux de la qualité de vie à leurs patients souffrants de cancer du sein à un stade avancé 4. Ceci peut être amélioré par des formations à la communication 5 |
Evolution des études de qualité de vie dans le cancer du sein |
Il existe ces dix dernières années une augmentation croissante des publications concernant la qualité de vie liée à la santé et particulièrement en oncologie. En 1998, dans une revue de la littérature sur l’évolution de la prévalence de ces publications, les auteurs notaient une augmentation continue du pourcentage des essais cliniques randomisés en cancérologie évaluant la qualité de vie qui est passé de 1,5 % en 1980 à 8,2 % en 1997 6. Ces données sont en faveur d'une prise en compte par les cliniciens de l’importance du concept. La FDA n’autorise plus la mise sur le marché d’un nouveau médicament sans pouvoir disposer de données concernant les effets du produit sur la qualité de vie des malades. Depuis 1995 au sujet du cancer du sein, la croissance des études mesurant différents domaines de la qualité de vie est constante pour les interventions biomédicales et elle est exponentielle pour les interventions psychosociales. Si on prend l’exemple du cancer du sein métastatique, dans une récente méta-analyse, il apparaît que quinze sur les dix neuf études randomisées publiées depuis 1995 évaluaient la qualité de vie comme « end point » secondaire. Mais il subsiste un certain nombre de difficultés méthodologiques dans la rigueur des mesures qui ne permettent pas toujours de tirer des conclusions définitives sur la supériorité d’une nouvelle thérapeutique par rapport à la thérapie standard sur base des données de qualité de vie 7. Mais ces problèmes méthodologiques ne sont ils pas la constance de toute méta-analyse ? Nous sommes clairement arrivés à une période clé dans l’évolution des études de qualité de vie liée à la santé : celle du développement de son application systématique en recherche clinique et pourquoi pas en pratique clinique cancérologique ? 8 |
Instruments de mesure |
« Mesurer » constitue une composante essentielle de la recherche, tant en sciences sociales, qu’en médecine et en biologie. Une échelle de mesure de qualité de vie doit être construite en respectant une procédure scientifique très rigoureuse pour chacune des étapes. Le choix des items, en relation avec la finalité de la mesure et le type de cancer étudié, doit être complété par une étude de fidélité et de validité, qui explore plusieurs axes (validité de contenu, validité de structure…). Avant d’être acceptées et reconnues, les propriétés métrologiques doivent être vérifiées sur des échantillons de sujets soumis au questionnaire. La validation d’une échelle de qualité de vie peut ainsi prendre plusieurs années, mais constitue un préalable à toute appropriation par la communauté scientifique 9. Par exemple dans l’élaboration d’un instrument de mesure de la qualité de vie on va d’abord s’intéresser aux préoccupations principales d’une population de patients représentative pour un cancer spécifique (quelques centaines de patients) afin de mettre en évidence des points importants pour eux en termes de qualité de vie. C’est la première étape qui permet de mettre en évidence différents items de mesure. Ensuite on va soumettre un questionnaire obtenu sur base de ces items à une population plus importante (quelques milliers de patients) afin de valider des points clefs de leur qualité de vie, parfois manquants dans des questionnaires " usuels ". Enfin la dernière étape d’élaboration est la validation de l’instrument de mesure final dans différentes langues et donc différentes cultures. Pour certains instruments de mesure, la validation reste discutable. Il existe par ailleurs dans le monde médical, des réticences à revendiquer pleinement ces outils : lesquels sont disponibles et lesquels choisir, comment utiliser en pratique ces mesures, comment interpréter des données de qualité de vie ? En ce qui concerne la recherche clinique, les outils vont du recueil de deux ou trois items empiriques (tels que la douleur, la prise d'antalgique, l’évolution du poids, le nombre ou la durée des périodes d'activités) à des explorations complexes. Ces dernières souvent élaborées sous l'égide de chercheurs spécialisés en qualité de vie, sont des instruments de mesure qui prennent la forme de questionnaires multidimensionnels validés, en fonction du type de cancer. Un exemple parmi beaucoup d’instruments de mesure validés est le QLQ-C30- développé par le groupe « Qualité de vie » de l’EORTC (The European Organization for Research and Treatment of Cancer) 10. Le module BR 23 de ce questionnaire a été spécialement développé pour les patientes atteintes d’un cancer du sein et validé dans plusieurs langues dont le français. |
Conséquences du cancer du sein qui ont un impact démontré sur la qualité de vie |
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Les conséquences de l’annonce d’un cancer du sein et de ses différents traitements qui ont un impact démontré sur la qualité de vie sont nombreuses. A côté des effets secondaires directs, à court et à long terme, des thérapies locales (chirurgie, radiothérapie) et systémiques (chimiothérapie, hormonothérapie), conséquences que l’on peut qualifier de physiques, nous savons aujourd’hui qu’il existe aussi des conséquences psychologiques, familiales et sociales dont il faudra tenir compte. Conséquences psychologiquesL’impact psychologique du cancer du sein est très particulier car il a une double origine symbolique ; tout d’abord il est lié à l’image du cancer, maladie redoutable par excellence, bien souvent synonyme de souffrance et de mort et ensuite à l’image du sein, dont la symbolique n’est plus à rappeler : féminité, sexualité et maternité. Si le cancer du sein affecte d’abord la femme qui en est atteinte, il touche aussi son entourage familial proche et les équipes médicales qui la prennent en charge. Quelles sont les conséquences psychologiques les plus fréquentes ? L'anxiété est un symptôme souvent rencontré chez les individus atteints d'un cancer que ce soit au cours d'un examen de dépistage, d'une procédure diagnostique ou thérapeutique. C'est avec la dépression, la manifestation à laquelle le clinicien est le plus souvent confronté. Ainsi des études rapportent dans le cancer du sein des symptômes d'anxiété allant de 23 à 44% 11. Conséquences familiales : maris et compagnonsLorsque dans une famille une personne est atteinte d’une maladie grave, c’est tout le système familial qui s’en trouve altéré. En effet, chaque famille a des habitudes, des rythmes, des règles,... et la maladie va désorganiser toute cette structure bien établie. Ainsi la femme atteinte d’un cancer du sein n’assumera plus ses fonctions durant un certain temps, son mari (avec l’aide éventuelle de ses enfants) devra prendre la relève. La situation financière se modifie, les besoins affectifs changent. Conséquences familiales : enfantsSi le cancer du sein touche 6000 femmes chaque année dans notre pays, on peut estimer que 30% d’entre elles seront diagnostiquées alors qu’elles ont encore des enfants qui vivent à la maison. Malheureusement aucun domaine dans la littérature psychosociale concernant le cancer du sein n’est aussi peu étudié et connu que celui des enfants des femmes touchées par cette maladie. Que faut-il dire aux enfants ? ; Comment le dire et à quel moment ? , sont des questions actuellement sans réponse 18. Communication dans la relation soignant-soigné en oncologieL’information fournie par les équipes médicales dans son contenu et dans sa forme peut, nous l’avons vu, avoir de profondes répercussions sur la morbidité psychologique de la patiente. Mais si l’information technique au sujet du cancer est de plus en plus souvent jugée suffisante par les patientes, la manière dont elle est communiquée peut être améliorée. La littérature au sujet de la communication soignant-soigné en oncologie nous dit que le patient retient en moyenne trois informations, 30% de la consultation, les premières et les dernières paroles. Le patient est généralement interrompu après 18 secondes alors qu’il aurait besoin de 45 secondes pour terminer l’explication de son premier souci qu’il achève dans 23% des cas 21! Conséquences professionnellesLe travail sur le terrain et le fait que notre équipe intègre une psychologue depuis 1989, nous a fait prendre conscience qu’un bon nombre de femmes rencontraient des difficultés professionnelles après l’annonce de leur cancer du sein. Cette impression a justifié la mise en route d’une étude pilote pour objectiver le mieux possible l’importance du problème et si possible le chiffrer. |
La prise en charge globale |
Un défi essentiel en clinique est de pouvoir intégrer à la meilleure technologie médicale, la prise en charge des conséquences physiques, psychologiques et sociales de l'annonce du cancer du sein. Cette prise en charge globale a pour but de faciliter l’adaptation et d’améliorer la qualité de vie tout au long des différentes étapes de la maladie et des traitements. Ces étapes incluent : le choc du diagnostic, la chirurgie et l’adaptation au corps mutilé, la prise en charge des effets secondaires des traitements adjuvants, l’anxiété, la dépression, le deuil, l’agressivité et les soins palliatifs sans oublier de tenir compte des implications émotionnelles de l’entourage proche (compagnon et enfants). Différents modèles de prise en charge globale du cancer du sein ont été proposés. Celui de la clinique du sein a pour but d'améliorer la prise en charge des femmes atteintes d’un cancer du sein en réunissant les ressources humaines et techniques dans une unité spécifique de temps et de lieu. L’équipe soignante de la clinique du sein comprend tous les professionnels de la santé concernés tels que médecins généralistes, chirurgiens, oncologues, infirmières, kinésithérapeutes, psychologues, psychiatres, esthéticiennes et prothésistes qui s'organisent et se concertent dans une approche centrée sur la patiente. Dans ce modèle le support psychologique fait partie intégrante des soins sous forme de psy de liaison ou mieux de psy intégrée à l’équipe soignante. Dans d’autres modèles, en particulier anglo-saxon, des infirmières spécialisées en oncologie prennent en charge le soutien psychosocial. Dans notre expérience les avantages de la prise en charge psychologique intégrée sont une grande disponibilité pour les patientes, une approche systématique de la patiente et de sa famille et l’organisation d’un suivi psychologique quand cela s’avère nécessaire. Quand on interroge les patientes six mois après leur intervention, deux tiers d'entre elles (61% de 663) trouvent que la psychologue leur a été utile principalement car elles ont pu parler de leurs émotions à quelqu'un. Ceci nous encourage à continuer de proposer systématiquement cet espace de parole d'autant plus qu'à ce jour sur un total de 663 patientes, 15 ont refusé de rencontrer la psychologue (2%). Pour les infirmières, la psychologue est vue comme pouvant les décharger d’un poids émotionnel important en aidant la patiente à faire face à la maladie et à en parler 25. Travailler au quotidien dans une équipe avec la psychologue permet également l’expression des difficultés émotionnelles des soignants. Ces dernières sont très variables d’un soignant à l’autre en fonction du nombre de cas difficiles et du vécu propre de chacun. Leur reconnaissance implique une discussion au jour le jour avec les membres de l’équipe dont la psychologue fait partie intégrante. Nous vivons au quotidien cette approche originale comme une amélioration de la qualité de nos possibilités thérapeutiques. De nombreuses études sur le bénéfice des interventions psychologiques dans le traitement du cancer ont été publiées ces dernières années. Elles nous indiquent un bénéfice significatif sur l’anxiété, la dépression, l’humeur, les nausées, la douleur, les vomissements et les connaissances au sujet du cancer. La prise en charge globale permet donc d’améliorer la qualité de vie en améliorant les symptômes physiques, l’adaptation émotionnelle et le fonctionnement social de façon durable 26,27. Le défi des années futures est de faire reconnaître par notre système de soins de santé, le fait que la prise en charge psychosociale fasse partie intégrante des soins oncologiques. A l'aube du troisième millénaire, il est urgent, de pouvoir obtenir les moyens pour organiser et généraliser cette prise en charge globale dont le financement est trop souvent financièrement précaire et qui est jugée non rentable par notre système de soins de santé ! |
Bibliographie |
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