Traitement ciblé du cancer du sein : mythe ou réalité ?
Prof. Martine Berlière, Clinique du Sein – Centre du Cancer, Cliniques Universitaires St Luc
Le concept de prise en charge thérapeutique du cancer du sein a fortement évolué au cours des dernières années. Comme le dit si bien Veronesi, il est passé du traitement maximal toléré au traitement minimal efficace. Cette évolution va dans le sens d’une plus grande efficacité thérapeutique avec un meilleur ciblage et une moindre toxicité
Le Concept de traitement ciblé peut se définir de différentes manières. On parle de traitement ciblé quand il s’agit d’un traitement efficace qui permet la destruction sélective de la tumeur avec épargne des organes voisins. Ce concept s’applique au traitement loco-régional du cancer du sein (chirurgie et radiothérapie). On parle également de thérapie moléculaire ciblée en faisant référence à un type de médication qui bloque la croissance des cellules tumorales en interférant avec des cibles moléculaires indispensables pour la croissance tumorale et la carcinogenèse, plutôt qu’en bloquant simplement les cellules cancéreuses en division. Les traitements ciblés sont plus actifs et moins toxiques pour les cellules normales, que la chimiothérapie classique.
Traitement loco-régional
Le traitement chirurgical ciblé peut aisément être illustré lorsqu’il s’agit de traiter des lésions infracliniques, c’est-à-dire des lésions qui ne se palpent pas mais sont diagnostiquées uniquement par les examens radiologiques (échographie, mammographie).
Les objectifs du traitement chirurgical ciblé sont l’enlèvement sélectif de la lésion tumorale avec des marges saines (ce qui implique un repérage radiologique), un respect des tissus voisins et une optimalisation des exigences carcinologiques et esthétiques.
Le succès du traitement chirurgical ciblé nécessite une concertation pluridisciplinaire (chirurgiens, radiologues, pathologistes et oncologues) et un diagnostic précis (un repérage préopératoire par harpon ou noir de carbone et une échographie ou radiologie de pièce opératoire).
Radiothérapie ciblée
Elle se base sur le même concept. L’objectif est l’irradiation sélective des tissus mammaires avec épargne des tissus voisins.
La radiothérapie est en pleine essor et les moyens pour optimaliser et cibler davantage le traitement sont la dosimétrie en trois dimensions par scanner et une radiothérapie que l’on appelle IMRT (Intensity Modulated Radiotherapy). D’autres projets sont à l’étude, comme la radiothérapie intra-opératoire et la radiothérapie partielle mais il s’agit de protocoles d’études qui ne doivent pas encore être appliqués en pratique courante.
Thérapie moléculaire ciblée
Premièrement, elle implique une meilleure connaissance de la biologie des cellules cancéreuses. La cellule normale peut être comparée à une voiture qui possède une pédale d’accélérateur et une pédale de frein. La pédale d’accélérateur enseigne à la cellule de se diviser et de se multiplier, tandis que la pédale de frein lui recommande de stopper la division et la multiplication, et est responsable de la mort programmée des cellules que l’on appelle l’apoptose.
La cellule cancéreuse se comporte comme une voiture folle. Elle a une pédale d’accélérateur et sa pédale de frein n’est plus fonctionnelle, ce qui implique des divisions et des multiplications beaucoup plus importantes et anormales, des mitoses anormales, une migration cellulaire dans d’autres organes, des phénomènes de néoformation des vaisseaux (angiogenèse) et de métastases.
Agents des traitements ciblés
La chimiothérapie
La chimiothérapie comme telle, classique, n’est pas considérée comme un traitement ciblé. Elle agit sur des cellules en division rapide. Malheureusement, les cellules saines sont aussi détruites. Différents progrès peuvent faire évoluer la chimiothérapie vers un traitement ciblé et sont actuellement étudiés (exemples : des agents qui permettent une protection cardio-vasculaire, une administration séquentielle, et surtout le couplage des agents cytostatiques à des agents biologiques, et l’utilisation de la signature génétique des tumeurs pour l’optimalisation et l’individualisation u traitement).
L’hormonothérapie
L’hormonothérapie représente le premier traitement ciblé utilisé dans le cancer du sein. L’hormonothérapie fut découverte par Beatson qui, en 1895, s’aperçut que l’annexectomie (ablation des ovaires) entraînait une réduction de volume tumoral chez les patientes atteintes d’un cancer du sein avancé. Presqu’un siècle sera nécessaire pour comprendre l’interaction entre les œstrogènes et les récepteurs hormonaux présents sur un bon nombre de tumeurs mammaires (60 à 75%). La liaison des œstrogènes aux récepteurs hormonaux est à l’origine d’une cascade d’événements cellulaires qui déclenche la prolifération cellulaire.
Le blocage des œstrogènes par des anti estrogènes aboutit à l’arrêt de la prolifération cellulaire.
Les progrès ont permis de découvrir d’abord le tamoxifène (Nolvadex ®) qui est le premier anti-œstrogène utilisé dans le traitement du cancer du sein. D’autres molécules d’hormonothérapie et de traitement ciblé sont venus rejoindre le tamoxifène : un agoniste de la LH-RH (Zoladex ®), de nouveaux anti-œstrogènes comme le Fulvestrant (Faslodex ®), et les inhibiteurs de l’aromatase (anastrazole-Arimidex ®, letrozole-Femara ®, exemestane-Aromasin ®).
Agents biologiques
Les agents biologiques représentent certainement la partie la plus importante et l’avenir des traitements moléculaires ciblés.
Parmi eux, citons le Trastuzumab (Herceptin ®), qui est un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur Her2. Ce récepteur Her2 appartient à la famille des récepteurs Her. Il y a 4 récepteurs transmembranaires connus : Her1, 2, 3 et 4 sont des récepteurs aux facteurs de croissance.
Lorsque ces récepteurs de lient à une molécule appelée ligand, une série de phénomènes (appelons les des messages cellulaires) est déclenchée. Au terme de cette « cascade cellulaire » se trouvent la prolifération, la croissance et la multiplication cellulaire.
Que suggèrent les études cliniques ?
La surexpression d’Her2 est présente dans 20 à 25% des tumeurs cancéreuses mammaires. C’est un événement précoce de la tumorigénèse qui signe une relative résistance à l’hormonothérapie et une agressivité tumorale. L’inhibition d’Her2 par l’Herceptin permet de réduire la prolifération cellulaire, l’angiogénèse, et de majorer l’apoptose.
En maladie avancée, les résultats ont montré une excellente activité de l’Herceptin et une bonne tolérance.
En situation adjuvante, 4 grandes études cliniques internationales ont également apporté des résultats très encourageants qui ont abouti, depuis le 1er juillet, au remboursement de la molécule en Belgique dans certaines conditions, la principale étant bien sûr la surexpression de Her2 Neu.
L’Herceptin est un grand pas. L’homme avait marché sur la Lune ; il a maintenant marché sur Mars mais de grandes questions restent à résoudre : quelle est la durée optimale du traitement en situation adjuvante ? Quel est le schéma de chimiothérapie le plus adéquat ? Quel est le timing exact d’administration (en même temps que la chimiothérapie, après la chimiothérapie, en situation néoadjuvante) ?
L’Herceptin est le chef de file de toute une série de molécules qui sont en voie de développement. Nous disposons actuellement, en situation d’étude clinique, d’autres inhibiteurs des récepteurs Her. L’un d’entre eux, le Lapatinib, est un inhibiteur à la fois de Her1 et Her2. Il s’est montré actif chez les patientes devenues résistantes à l’Herceptin.
On peut également citer agents inhibiteurs de l’angiogénèse dont le chef de file est le Bevacizumab (Avastin ®) qui est un anticorps dirigé contre le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor).
Conclusion : directions futures ?
Une meilleure compréhension de la biologie moléculaire tumorale et l’élucidation des interactions entre les différentes cascades cellulaires (récepteurs hormonaux, facteurs de croissance) a abouti et aboutira certainement à un meilleur ciblage thérapeutique.
D’autres progrès viendront de la combinaison de différents agents biologiques entre eux ou de l’association de ces agents à des agents cytostatiques.
Le traitement ciblé dans le cancer du sein n’est plus un mythe, c’est désormais une réalité en marche.
(Action Sein 2006)